Poisson, viande et autres « appétits charnels »
Je vous ai parlé du Jeûne de Carême dans cet article ICI. ainsi que de la signification de cette privation, dont le sens biblique est celui d’un signe d’humilité et de repentance devant Dieu.
A la différence de certaines religions ou courants philosophiques, telles que l’Hindouisme et le Bouddhisme où les pratiquants sont végétariens pour des raisons de non-violence (ahimsa), dans le christianisme on s’abstient de viande (et parfois aussi de produits laitiers ou d’œufs) pour des raisons de pénitence, de sobriété, ou pour imiter le sacrifice du Christ.



L’idée est aussi de se détacher des plaisirs de la chair (la viande étant souvent perçue comme riche et festive) c’est pratiquer une forme de maîtrise de soi, un acte de renoncement pour se recentrer sur l’essentiel : la prière, la charité, l’introspection.
Pourquoi s’abstenir de viande pendant le jeûne chrétien, est-il considéré par l’église comme un geste de sobriété, de pénitence, et de purification du corps?
Le sens ultime du jeûne chrétien est de se détourner des plaisirs matériels pour se concentrer sur Dieu. La chair animale est perçue comme un aliment festif, lié souvent à l’excès.
On s’abstient donc de viande animale pour des raisons de pénitence , de maîtrise de soi, de sobriété. C’est un acte de renoncement pour se recentrer sur l’essentiel : la prière, la charité, l’introspection.
S’abstenir de chair animale serait l’exception qui confirme la règle?
Célèbre phrase qui nous vient du Droit romain :« Exceptio probat regulam in casibus non exceptis »

Si pour faire acte de pénitence, de sobriété et pour se purifier, la personne doit s’abstenir de viande, nous pourrions donc penser que se nourrir d’animaux a une connotation négative.
Cependant,Jésus lui-même a dit (dans l’Évangile selon Marc, chapitre 7) : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur, mais ce qui en sort. ».
Ce qui signifie, que ce n’est pas l’aliment qui est impur, mais l’intention et l’usage qu’on en fait.
En d’autres mots, par l’exception du Carême, l’Église reconnaît implicitement que la viande est un aliment qui flatte les sens et le plaisir, donc potentiellement matérialiste, mais pas mauvais en soi.
Je tire comme conclusion de tout ce raisonnement quelque chose que je savais déjà, l’être humain fait un mauvais usage des animaux, comme s’ils étaient des objets alors qu’ils sont des créatures de Dieu.
Ce que je pense
Mon humble avis c’est donc, que tout chrétien devrait s’abstenir de se nourrir de la souffrance des autres créatures mais pas uniquement pendant le Carême sinon à tout moment.Sinon, quel sens aurait la phrase du Pape François quand il souligne dans son encyclique Laudato si’, au paragraphe 92 que :
« Toute cruauté sur une quelconque créature est contraire à la dignité humaine. »

Ceci étant dit, le pape François n’est devenu ni vegan ni même pas vegétarien. Ce qui nous rappelle cette vieille expression populaire : « Fais ce que je dis, pas ce que je fais » inspirée peut être du passage biblique qui dénonce l’hypocrisie ou l’incohérence entre les paroles et les actes et qui se trouve dans l’Évangile selon Matthieu, où Jésus critique les pharisiens :
« Faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent ; mais n’agissez pas selon leurs œuvres. Car ils disent, et ne font pas. »
(Matthieu 23:3)
Mais comment se fait-il que l’Église interdisse la consommation de mais qu’elle autorise la consommation de poisson ?
Même dans les cas les plus stricts comme dans le jeûne du Carême orthodoxe où la consommation de poisson est interdite il existe des contradictions dépourvues de tout fondement scientifique et à mon sens, de logique! Car dans la tradition orthodoxe, les fruits de mer (crevettes, calmars, poulpes, etc.) sont autorisés.
Il n’y a pas de consensus sur les raisons de cette exception, certains disent que c’est parce qu’ils ne sont pas considérés comme de la « chair animale », d’autres parce que jadis certains fruits de mer étaient perçus comme de déchets marins.
D’autres hypothèses, supposent que les fruits de mer, tels que les crustacés et les mollusques, considérés comme des « aliments de la mer », ne portent pas le même symbole de vie et de résurrection que le poisson pour le christianisme. Les Évangiles regorgent d’épisodes où le poisson joue un rôle central. Il ne faut pas oublier que les premiers disciples de Jésus étaient des pêcheurs du lac de Tibériade, ce qui explique le lien symbolique entre la pêche et la mission d’évangélisation.
Des raisons historiques et théologiques s’ajoutent aux différentes hypothèses :
Au Moyen Âge, l’Église définissait « la viande » comme provenant d’animaux terrestres à sang chaud, tandis que le poisson et les fruits de mer, créatures aquatiques, ne rentraient pas dans cette catégorie. Cette distinction permettait aux populations, notamment celles vivant près des côtes, d’avoir une source de protéines durant le jeûne.
Le symbolisme religieux du poisson au coeur du christianisme est indéniable.En grec, le mot « poisson » (ΙΧΘΥΣ, Ichthus) est un acronyme pour Iesous Christos Theou Yios Soter (« Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur »). Les premiers chrétiens utilisaient ce symbole pour se reconnaître entre eux pendant les persécutions.

La luxure comme feu intérieur
La luxure, dans la tradition chrétienne et médiévale, est souvent vue comme un feu, une chaleur excessive du sang (notamment liée à la bile).
Dans ce sens, il fallait donc éviter les aliments « chauds » qui exciteraient les sens.
Selon cette croyance, le poisson, faussement considérés comme animaux « à sang froid » ne déclencherait pas « l’ incendie de la luxure ».

Cette « froideur » était censée refroidir les passions, en particulier les appétits charnels, (théorie humeurs,Hippocrate / Galien) d’après la médecine médiévale.


Pour toutes ces raisons, au vue de l’église, le poisson est un aliment sobre, qui n’échauffe pas le corps ni l’âme, évitant tout risque de péché charnel.
Cela expliquerait pourquoi le poisson est devenu pour la religion chrétienne la nourriture d’abstinence par excellence.



Voici quelques photos que j’ai prise lors d’une action nommée « Happening les martyrs silencieux », le 20 mai 2017 à Paris et affiches de l’Association
Le poisson, cet incompris
De tous les animaux que nous consommons, les poissons sont les plus grands incompris de la nature. Pourtant, nous avons beaucoup en commun avec les animaux marins. Les poissons sont des êtres sensibles, intelligents et sociaux, au même titre que les animaux terrestres. Ils sont aussi les animaux les plus consommés sur la planète.

Mais revenons à « nos poissons », quelle qu’elle soit la raison pour laquelle le poisson et les fruits de mer ne sont pas considérés comme de « la chair animale » dans les interdit de l’église, elle est paradoxale sinon contradictoire, à mon sens bien entendu, et le grand perdant de cette histoire est toujours le pauvre poisson et ses compagnons d’infortune!
Pourquoi l’interdiction de viande le vendredi?
Adolescente, je me souviens d’avoir respecté parfois l’interdiction de viande le vendredi saint des catholiques. En Argentine, pays de la viande, cette règle était vécue comme un vrai sacrifice! Cependant je ne me suis jamais posé la question de cette tradition liturgique.
A l’époque on nous disait tout simplement que c’était parce que la mort de Jésus était survenue un vendredi.

En cherchant à comprendre aujourd’hui pourquoi cette interdiction concernait uniquement les vendredis (pour les plus pratiquants ) et le vendredi saint pour la plupart des chrétiens, j’ai trouvé l’explication qui suit.
Puisque l’on croit que le Christ a souffert et est mort sur la croix un vendredi, les chrétiens ont dès les premiers temps privilégié cette journée pour unir leurs souffrances à celles de Jésus. Ceci conduisit l’Église à reconnaître chaque vendredi comme un « Vendredi saint » pendant lequel les chrétiens peuvent se souvenir de la passion du Christ en offrant une forme spécifique de pénitence. L’abstinence de viande .

Ce que je pense
J’en conclut donc, qu’il y a une reconnaissance implicite du fait que manger des animaux implique une souffrance, un sacrifice. Et selon Léon Tolstoï, pour le christianisme, le sacrifice est la condition première d’une vie morale. Tous les chemins conduisent à Rome!
Je vous laisse comme Pensée du jour…. cette émouvante et emphatique réflexion du Père Terry Martin, prêtre catholique et fervent défenseur des droits des animaux. Il est l’auteur du livre « Animals in Heaven? A Catholic Pastoral Response to Questions about Animals », qui explore la relation entre la foi catholique et les animaux et le lien vers cette interview réalisée par la F.R.A.

« Choisir de ne pas manger de poisson (et d’autres animaux) est le moyen le plus simple de protéger et de prendre soin de l’ensemble de la création de Dieu, une tâche à laquelle est appelée chaque chrétien et chaque chrétienne. »
( Père Terry Martin, prêtre catholique végan et auteur )